Sandrine Tonnoir, sandrine.tonnoir [at] ac-grenoble.fr, Collège René Long D’après le Rapport de l'Observatoire 2019 des Pratiques numériques des jeunes de Sophie Jehel et Laurence Corroy, le recours à l’émotion, traditionnellement utilisé dans les fake news ou la publicité pour manipuler l’opinion ou les consommateurs, est une stratégie marketing désormais utilisée par les Réseaux Sociaux : en s’adressant aux émotions et sentiments des adolescents, ces plateformes développent en effet des dispositifs addictifs qui les engagent à s’en servir. De nouveaux médias, diffusés sur les RS et qui ciblent aux aussi, un public jeune, usent également de la “stratégie de l’émotion”, pour capter leur attention et faire le buzz, les encourager à liker, partager, commenter des contenus. 

A l’origine de cette séquence, qui s’inscrit dans le cadre des TraAM EMI 2019/2020, un questionnement de deux professeures documentalistes, l’une exerçant en collège, l’autre en LP (séance LP) sur la question de l’information / communication : à l’heure où 59 % des moins de 13 ans ont un compte sur un RS, comment les journalistes communiquent-ils l’information pour capter leur attention? Quel est l’impact des RS sur le traitement de l’information, sur les genres et formats médiatiques? L’information est-elle compatible avec l’émotion? Les questions de buzz, audience, économie de l’attention.. Quand une information est traitée avec de l’émotion, qu’est-ce que ça change?  L’émotion empêche-t-elle le raisonnement? Faire appel à l’émotion, est-ce manipuler?

Cadre : 

Cette séquence de deux heures, qui a été menée avec 3 classes de 5e,  a été conduite lors d’une collaboration entre une professeure documentaliste et une professeure de français dans le cadre d’un travail sur la figure du héros dans l’information. Après avoir compris que les journalistes peuvent être amenés à scénariser les informations pour les communiquer, les élèves identifient dans un reportage, les éléments vecteurs d’émotion et à s’interrogent sur les conséquences de cette expérience “sensible”.

Notons qu’en amont de la séquence, le niveau 5e a été sensibilisé aux stratégies développées par les RS, qui se servent des émotions des adolescents pour les inciter à les utiliser : course à la popularité, likes, mode Snapstreak (flammes) de Snapchat, où deux Snapchatters sont contraints de s'envoyer chacun un Snap au minimum toutes les 24 heures en gage d’amitié. 

Objectifs :

En partant de ses représentations, l’élève est capable, en fin de séquence de :

  • Comprendre que l’information peut être scénarisée pour être communiquée
  • Distinguer ce qui relève de l’information et ce qui relève de son traitement (montage)
  • Comprendre que les journalistes peuvent faire appel à l’émotion pour capter l’attention du public
  • Comprendre que le montage s’adresse à l’affectif et provoque des réactions :  s’engager / prendre position / agir

Lien avec les programmes : 

Domaine Compétence  Lien avec les programmes
2. Exploiter l'information de manière raisonnée   2.2. Partager et publier Découvrir des représentations du monde véhiculées par les médias   Relayer (les informations, contenus, opinions… ) des autres en contexte de communication publique en apportant un regard critique sur la nature du contenu (avec des plateformes de partage, des réseaux sociaux, des blogs, des espaces de forum et de commentaires, de système de gestion de contenu CMS…). EMI Programme cycle 4   CRCN

Notions / vocabulaire :

Déroulement : 

Séance 1 : Un format, une histoire

Introduction : (10 min.)

Présenter le thème de la séquence : l’influence d’internet et plus particulièrement des réseaux sociaux sur le traitement de l’information. Mobiliser les élèves. Comment vous informez-vous? Utilisez-vous internet / les réseaux sociaux pour vous informer? 

A partir d’une problématique soumise à l’ensemble de la classe, Comment les journalistes doivent-ils présenter l’information sur les RS? aborder la question des techniques utilisées par les journalistes pour communiquer l’information. 

Expliciter la consigne : l’information doit pouvoir être lue, vue, comprise, sur un téléphone mobile, dans un contexte de nomadisme accru.

Le format : (15 min.) Partir dans un premier temps des représentations des élèves, puis les compléter après avoir projeté une vidéo de Loopsider diffusée sur les réseaux sociaux concernant la mort du koala Lewis : Loopsider on Twitter: "Il avait été sauvé des flammes par une Australienne, le petit koala Lewis est mort.… "

Une synthèse collective est effectuée. Les caractéristiques du média sont listées au tableau (images /vidéo, texte, son, format vertical, court)

Revenir au contenu et demander aux élèves de verbaliser en quelques phrases l’histoire racontée dans la vidéo.

2 - La narration :  (25 min.) Questionner la classe : Quels sont les ingrédients pour raconter une bonne histoire?  Il s’agit ici de construire  avec les élèves une grille d’analyse afin de révéler la scénarisation de l’information.

Les réponses des élèves sont présentées dans un tableau listant les éléments relatifs à la narration : Héros, élément perturbateur, suspens, action…

Présenter l’activité, à effectuer en binôme. Retrouve-t-on ces éléments dans la vidéo? 

Une synthèse collective est effectuée. Revenir sur l’histoire racontée dans la vidéo. Que nous raconte cette séquence ? Qui est le personnage principal? Pourquoi le koala a-t-il un nom? Que se passe t-il entre les personnages ? Quels rôles jouent les humains dans la vidéo? Quel est l’élément perturbateur?  … etc

Réponses attendues :
Thème La mort d’un koala suite aux incendies en Australie
Héros, personnages Le koala Lewis / “ La sauveteuse / ”Les soignants”
Elément perturbateur L’incendie
Suspens Non
Action, rebondissement Lewis est conduit à l'hôpital des koalas
Dénouement Lewis est euthanasié

Enfin, aborder la question des divergences : quelles différences avec une fiction? Ici, le dénouement est connu dès l’introduction, il n’y a pas d’effet de suspens. Pourquoi? Rappeler la règle de la pyramide inversée, technique journalistique qui consiste à donner en premier les informations les plus importantes pour capter et renseigner le public, puis celles qui sont moins essentielles. Faire réfléchir les élèves à l’angle choisi par le journaliste : la mort d’1 koala vs 350.  Lewis symbole des koalas victimes des incendies

Conclusion : Les élèves répondent à la problématique “comment présenter l’information pour qu’elle soit communiquée sur les Réseaux?” (5 min.)

Dans le but de communiquer, les journalistes utilisent un format hybride, entre le reportage vidéo et la story,  adapté à la lecture sur téléphone mobile. Ils emploient la forme narrative et sont amenés à scénariser les informations. Définir la notion de storytelling  (Mise en récit / Accroche narrative)

Séance 2 : Émouvoir pour informer, qu’est-ce que ça change? 

Introduction : (5 min.) Réinvestir la séance précédente en demandant à un élève de rappeler les codes de présentation de l’information sur les RS. 

Annoncer la problématique : sur les RS, comment les journalistes peuvent-ils faire le buzz et susciter l’engagement du public? 

Expliciter la consigne en définissant le mot engagement. Il s’agit ici d’interagir, de visionner, liker, partager, commenter une vidéo. Réponses des élèves :

  • Publier un scoop
  • Plaire 
  • Toucher le public cible
  • Utiliser des images fortes, une image choc en miniature
  • Faire participer...

1 - Projeter une vidéo de Brut Nature sur la mort du koala Lewis, sujet étudié précédemment, afin de faire prendre conscience aux élèves qu’un reportage peut être vecteur d’émotion. https://twitter.com/brutnaturefr/status/1199317618643152897?cn=ZmxleGlibGVfcmVjc18y&refsrc=email (15 min.)

Demander aux élèves, à chaud, un mot, un commentaire, une émotion… suite à la projection. Les réactions des élèves sont recueillies dans Wooclap, un outil interactif qui permet, à l’aide d’une question ouverte de rassembler les remarques des élèves. Une analyse collective en est faite. Relever le nombre de mots qui désignent une émotion.

Copie d’écran Wooclap. Classe de 5e. Collège René Long

2 - Présenter l’activité : Pourquoi les émotions ont-elles une place aussi importante?  Par groupe de deux, les élèves sont invités à relever, dans la vidéo, ce qui peut les provoquer (15 min.)

Synthèse collective. Chaque groupe présente le résultat de ses observations. L’enseignant.e dispose les réponses des élèves en deux colonnes : ce qui relève de l’information dans la première, ce qui relève du montage dans la seconde. On demandera aux élèves d’expliquer ce choix.

Les propositions sont commentées. Faire des arrêts sur image pour permettre aux élèves de distinguer différents plans. Évoquer également  l’importance du son dans la séquence. 

Information Montage
cris du koala 0:01 (ouverture) Koala enveloppé comme un enfant (personnification) 0:07 Sujet /histoire  : mort d’un animal 0:10 Les informations en rouge : mort, situation catastrophique, incendies, état très grave, brûlures trop graves,  euthanasier, mort, 43 000 koalas sauvages le témoignage : les vidéos des témoins (authenticité) 0:15 L’étreinte entre les deux femmes... Musique triste Couleur du texte.  Accroches visuelles : gros plans et angle de prise de vue,  tournage à hauteur du koala 0:18 Travelling sur photo d’un koala brûlé + répétition de cette image Répétition de la même image du koala en feu, 0:05, 0:38, 2:30 ou du koala enveloppé “comme un bébé” ...

3 - Comparer l’audience des deux vidéos étudiées : (10 min.)

Comparer le nombre de vues, (2300 vs 248 000),  de retweet (42 vs 4600)  et de likes (48 vs 6300) des deux vidéos (Loopsider vs Brut). Comment expliquer une telle différence? Demander aux élèves quelle vidéo ils préfèrent et pourquoi. Aborder ici les questions de l’audience, de l’économie de l’attention, ainsi que l’intention : informer, certes, mais aussi sensibiliser, alerter le public. 

Conclusion : Émouvoir pour informer, qu’est-ce que ça change? (10 min.)

Réponses des élèves : “ça donne envie de

  • M’engager
  • Protéger les koalas
  • Donner de l’argent à l'hôpital des koalas
  • Lutter contre le réchauffement climatique
  • En savoir plus, faire une recherche sur les koalas, les incendies en Australie”

Une synthèse collective est effectuée. Que retenir de cette séance ? L’émotion, un moyen pour provoquer des réactions sur le public, qui, dans l’exemple étudié, va au delà du partage. Faire preuve d’esprit critique et bien distinguer, lorsqu’on regarde une vidéo, ce qui relève de l’information et ce qui relève de son traitement. Comprendre que le montage s’adresse à l’affectif et provoque des réactions. 

Analyse réflexive sur la séquence :

  • Bien que nous ayons constaté une très bonne participation générale et individuelle des élèves, les limites de la séquence ont été atteintes lorsque l’un d’entre eux, bouleversé par le reportage de Brut,  n’a pas pu mener l’activité demandée. La charge émotionnelle ayant été ici un obstacle à l’analyse, ma collègue et moi avons décidé de revenir sur la synthèse, à froid, à posteriori, deux jours plus tard. 
  • Pour faire suite à la séquence, il a été demandé aux élèves de choisir une information puis de la traiter sous la forme d’un article ayant pour intention d’accentuer l’émotion chez le lecteur. Il aurait été plus pertinent de travailler, pour cet exercice, sur le format vidéo, pour permettre aux élèves de réinvestir les techniques de montage observées lors de l’analyse (séance 2). Ce travail, qui n’a pas été mené faute de temps, aurait ainsi permis aux élèves de comprendre que le montage s’adresse à l’affectif et provoque des réactions. (ex, lors d’une manifestation : joie, anxiété, peur.. etc)
  • Autre piste de prolongement : expliquer le fonctionnement des émotions en collaboration avec un professeur de SVT afin que les élèves comprennent que les émotions peuvent servir d’autres fonctions cognitives comme l’attention, la mémorisation et l’empathie. (voir à ce sujet l’article “les émotions en cinq questions” de Sciences Humaines) 
  • Lors de la séance menée, Wooclap est apparu comme un outil intéressant car il a permis de sonder les élèves et de recueillir leurs réactions suite à la projection de la vidéo. Cet outil interactif permet de créer un questionnaire avec une question ouverte.  Les élèves s’y connectent à l’aide d’une adresse url, sans identifiant ni de mot de passe. Les commentaires ont été projetés puis analysés collectivement. Seul un binôme n’a pas respecté les règles d’usage, en écrivant n’importe quoi  sur l’outil collaboratif.

Bibliographie / Sitographie :